Au bureau : la post-fouille
On pense souvent (à tort) que l'archéologie s'arrête à la phase terrain. Une fois les truelles rangées, c'est une nouvelle étape qui commence : la post-fouille.
La post-fouille se compose de toutes les étapes de traitement des données récoltées pendant le chantier : gestion du mobilier, étude des vestiges, rédaction du rapport, etc. Cette phase d’étude dure approximativement le même temps que la phase de terrain. Les étapes qui la composent sont réalisées en parallèle par un, une ou plusieurs archéologues.
1/ Le lavage du mobilier archéologique
Le mobilier archéologique est composé de deux types d'éléments découverts sur un site :
- les artéfacts : objets manufacturés par les humains et conservés dans le temps. On peut citer en exemple des outils, de la vaisselle, etc.
- les écofacts : restes organiques conservés dans le temps. Il peut s'agir par exemple de graines, de matières animales ou encore d'ossements humains.
Au retour du terrain, le mobilier doit être nettoyé avec une technique adaptée à sa fragilité, qui permet son étude et sa bonne conservation dans le temps.
2/Le conditionnement et l'inventaire du mobilier archéologique
Une fois le mobilier archéologique nettoyé et séché (si besoin), il subit plusieurs étapes d'une chaîne opératoire destinée à le stocker dans les conditions nécessaires à sa conservation en bon état (sachet adapté, humidité maîtrisée, etc.).
En parallèle, le contenu de chaque sachet est inventorié. On note le nombre d'éléments dans chaque sac, leur poids, le numéro de la caisse dans laquelle le sachet est rangé, etc. Ces informations sont saisies en base de données.
Cela permet de pouvoir situer et retrouver en un coup d'œil chaque mobilier archéologique si besoin : lors de l'étude par le ou la spécialiste, du versement des collections à l'État, etc.
3/Le nettoyage des données de terrain
Si vous avez bien suivi la description des méthodes appliquées sur le terrain, vous avez compris que l'objectif principal est d'enregistrer un maximum d'informations archéologiques de manière compréhensible et pérenne afin d'en déduire autant d'hypothèses que possible sur le site archéologique en général.
Pour que cet enregistrement soit précis et juste, l'ensemble des données est vérifié au bureau de manière à repérer les manques ou les petites erreurs. La base de données est ainsi utilisable par l'ensemble des archéologues qui travaillent à la post-fouille : spécialistes pour l'étude du mobilier archéologique, responsable de l'opération pour la rédaction du rapport, etc.
Un exemple concret : l'arbre stratigraphique
L'analyse stratigraphique est une méthode capitale en archéologie puisqu'elle permet de comprendre dans quelle ordre les installations humaines se sont enchaînées.
Parmi les missions de post-fouille, notamment pour les fouilles de grandes surfaces et qui ont mis au jour de nombreux vestiges complexes, il faut créer un arbre stratigraphique. Sur le principe d'un arbre généalogique qui ordonne les ascendants et les descendants d'une famille, l'arbre stratigraphique ordonne l'ensemble des couches de sédiments observées sur le site archéologique les unes par rapport aux autres. Il y fait aussi apparaître avec la qualité de relation de deux couches l'une par rapport à l'autre : antérieure, postérieure, équivalente ou encore synchrone.
4/Le dessin assisté par ordinateur
L'intégralité des dessins techniques réalisés à la main sur le terrain sont dessinés au format numérique afin de les intégrer dans le rapport final d'opération.
Pour ce faire les calques sont scannés et traités dans un logiciel de dessin assisté par ordinateur (DAO). Les archéologues redessinent chaque trait sur ordinateur et appliquent au dessin des normes et légendes : épaisseur de trait, couleur pour le mobilier archéologique, etc.
5/Les études des spécialistes
Une fois le mobilier archéologique nettoyé et inventorié, il faut l'étudier. Chaque type de mobilier archéologique a ses spécialistes. Ils peuvent être dans l'équipe du service ou dans d'autres structures. L'étude fait alors l'objet d'une prestation.
Comment ça marche ?
L'étude du mobilier archéologique passe par l'observation précise et la description technique de ce qui a été mis au jour. Concernant la céramique, on va regarder la forme et le type de pâte qui la compose. Il faut parfois chercher à "reconstituer" l'objet complet à partir de fragments retrouvés séparés sur le terrain, à la manière d'un puzzle. Étape fréquente pour la céramique, cela s'applique aussi aux ossements animaux par exemple le but est de déterminer de quelle partie du squelette il s'agit et si elle est complète ou non.
Pour identifier de quelle céramique, de quel os ou encore de quel outil il s'agit, les spécialistes procèdent par comparaison à l'aide de référentiel. On compare le fragment de céramique avec d'autres poteries plus complètes pour savoir s'il s'agit de la même forme. On compare un fémur animal issu du site étudié avec un squelette complet de cheval (squelette de référence) pour déterminer s'il s'agit ou non d'un os de cette espèce. On compare un fragment de métal à des outils connus sur d'autres sites archéologiques pour identifier la fonction de l'objet. Etc.
Il est important de noter que les possibilités de l'étude sont liées intrinsèquement à l'état de conservation du mobilier archéologique : un mauvais état de conservation peut limiter les interprétations et les hypothèses à en tirer. Au final, toutes ces étapes et observations sont consignées à l'écrit dans une étude présentée par le ou la spécialiste dans le rapport de fin d'opération, appuyée par des dessins, des photographies, etc.
Quels objectifs ?
L'étude du mobilier archéologique apporte des informations de plusieurs types :
- la datation : la céramique ou encore les objets du quotidien (outils, bijoux, etc.) sont par exemple des marqueurs importants.
- la fonction des structures archéologiques dans lesquels il est mis au jour : trouver des indices d'artisanat du textile à l'intérieur d'un bâtiment permet d'envisager un atelier de tisserand.
- les activités des habitants : mettre au jour des outils agricoles en grande quantité indique de l'agriculture probablement à proximité, des outils spécifiques couplés avec un foyer et des micro-fragments de métal pourraient indiquer un atelier de forge, etc.
- le statut social des habitants : les objets du quotidien (leur qualité et leur quantité) aident à identifier le niveau de vie de la population du site.
Attention, ces informations ne sont jamais interprétées seules : elles participent à l'étude du site au même titre que l'observation des vestiges sur le terrain, l'analyse stratigraphique, etc. L'enquête archéologique est un puzzle composé de multiples pièces.
Les analyses physico-chimiques
Certains écofacts (graines, pollens, etc.) mis au jour sur le terrain nécessitent des analyses en laboratoire. Dans le cas de notre service, ces études sont effectuées chez des structures partenaires. Elles vont apporter des éclairages complémentaires à ceux des objets manufacturés :
- la fonction de certaines structures archéologiques : des graines au fond d'une fosse peuvent indiquer par exemple un silo.
- la datation à partir de fragments de bois (dendrochronologie, etc.) ou d'ossements (datation au carbone 14).
- l'environnement naturel du site : les pollens conservés dans le sédiment informent par exemple sur la flore présente autour du site à l'époque étudiée.
- l'état de santé des habitants du site (anthropologie, parasitologie, etc.).
6/Le croisement et l'interprétation des données
Toutes les étapes citées précédemment participent à l'enquête archéologique. Elles sont systématiques et indispensables. C'est à partir de toutes ces informations que les archéologues émettent des hypothèses à l'échelle globale du site.
L'archéologue interprète l'organisation spatiale du site (à partir des données en système d'information géographique SIG), met en place une chronologie incluant tous les vestiges (basée sur la stratigraphie et les datations diverses), propose une image de la vie sur le site avec le statut social de la population, ses activités voire son état de santé (grâce aux études de mobilier) et dépeint l'environnement du site (grâce aux analyses), etc.
7/Le rapport final d'opération
Pour quoi faire ?
L'ensemble des données de terrain et des études de la post-fouille fait l'objet d'un rapport final d'opération (RFO). Il est rédigé par le ou la responsable d'opération en collaboration avec l'équipe de terrain ainsi que les spécialistes ayant participé aux différentes études. L'objectif est de regrouper les informations obtenues. Ce rapport a plusieurs destinations :
- Il est lu et évalué par l'État, via le Service régional d'archéologie (SRA) qui assure le contrôle scientifique et technique de l'opération archéologique.
- le rapport est une archive disponible pour tous les professionnels de l'archéologie qui peuvent avoir besoin de consulter ses données dans le cadre d'une autre intervention archéologique, d'une étude universitaire ou encore d'une valorisation (exposition, etc.).
- le rapport est public : il peut être consulté par tous les usagers sur demande.
La publication assistée par ordinateur (PAO)
Comme l'équipe du service est très polyvalente, nous réalisons nous-même le montage et la mise en page du RFO. Cette étape de publication assistée par ordinateur (PAO) est réalisée grâce à un logiciel dédié. À partir d'une maquette fixe, nous intégrons les documents administratifs, le texte scientifique, les inventaires issus des bases de données ainsi que toutes les figures (illustrations, tableaux, graphiques, etc.).